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labosonic, journal intime sonore
24 avril 2005

Entre deux gares - Jacques Higelin

Jacques Higelin fut durant de longues années un chanteur à qui l'on ne pouvait pas coller d'étiquette. Depuis près de 40 ans, il irradie la chanson française par sa présence, ses humeurs et sa réputation de chanteur-poète incontrôlable, généreux dans ses coups de cœur et sur scène, parfois jusqu'à l'excès. Ce printemps 2005 voit la sortie d'une anthologie sous la forme d'un double CD et d'un DVD. Voici donc une bonne occasion de revenir sur les 38 ans de carrière de ce très grand auteur-compositeur-interprète de la chanson française.

 

Personne n'a jamais pu trouver une case où l'enfermer en dehors de la confession qu'il réalisa lui-même en 1986 dans son album Tombé du Ciel. La chanson-titre, en effet, nous offre un autoportrait de cette personnalité de poète médiumnique, véritable intermédiaire entre son public et des cieux inspirateurs. Higelin chante comme il respire, comme il vit, comme il aime, sous la dictée d'un message mystique, au gré de son cœur et de ses émotions. Il a cette personnalité propre qui fait qu'il est toujours à mi-chemin entre Elvis Presley et Charles Trénet, entre fureur rock'n'roll et furie poétique, Entre deux gares, donc. Les parallèles sont d'autant plus faciles, qu'actuellement, il chante son répertoire sur scène, réussissant l'exploit de s'approprier le répertoire du fou chantant sans jamais tomber dans l'écueil du plagiat. On pourra même reconnaître le mérite à Tombé du ciel de rentrer dans le quatuor de tête des grands autoportraits-confessions de la chanson française aux côtés de Je chante de Trénet, de L'Homme à tête de chou gainsbourien ou du Je suis snob de Boris Vian.

 

Les disques respectent la chronologie et les premières amours d'Higelin ouvrent donc cette anthologie : la Java des chaussettes à clous, reprise de Vian, ainsi qu'un duo avec sa jumelle de cœur et d'excentricité : Brigitte Fontaine. Les premiers essais musicaux d'Higelin hésitent entre l'anarchisme gouailleur et l'expérimentation arty. Les plages, les années et les tubes s'égrènent tout au long du premier disque. L'artiste trouve vite son style caractéristique, oscillant entre la chanson à texte riche en émotion et les compositions dynamiques à l'anglo-saxonne. Banlieue Boogie Blues, nous rappelle qu'il fut un temps où Higelin concurrençait Téléphone en matière de rock'n'roll. Alertez les bébés et Pars, tous deux vibrants d'émotion, prouvent que la musique et les orchestrations peuvent se faire légères derrière une voix claire, haute et puissante. Champagne, extrait du diptyque Champagne pour tout le monde, Caviar pour les autres nous rappelle un opéra comique parodique avant que l'album ne se conclue par la poignante confession de J'suis qu'un grain de poussière. Cet étrange morceau, à l'ambiance bluesy et au long solo de banjo, est la parfaite illustration du talent de l'artiste, compromis réussi entre un texte nostalgique et une étrange orchestration country à la rythmique exotique et atypique. Précédé par l'aveu que constitue Tête en l'air, prémisse de l'autoportrait qu'est Tombé du ciel, L'attentat à la pudeur offre en ouverture du second CD l'écho de l'opérette commencée avec Champagne. La rétrospective du répertoire se poursuit, alternant chansons poignantes (Je ne peux plus te dire je t'aime, Vague à l'âme et Cayenne, c'est fini) et moments plus enthousiastes (Dans mon aéroplane blindé, Ce qui est dit doit être fait).

 

Le DVD, ajouté au coffret, tient plus du cadeau bonux que de l'anthologie, n'offrant qu'une intéressante interview télévisée et trop peu d'extraits de concerts. Ainsi pour les images d'un Tombé du ciel face à la pyramide du Louvre, reflet d'une période où trop d'engagement scénique et politique surexposait l'artiste, on a droit à des raretés télévisées qui, quelles que soient leurs qualités, n'égaleront jamais la densité émotionnelle de grands concerts, comme ceux des années 70 ou cet instant magique où il transforma le public des Francofolies en un champ de tournesols, exemple typique d'un chanteur qui est autant poète dans ses actes que dans ses textes.

 

Il ne reste, après la découverte de ce coffret, qu'une impression mitigée : un DVD trop faible et des disques qui, s'ils alignent de très grands succès, n'arrivent pas à atteindre leur vocation anthologique par manque d'exhaustivité. Quelques graves lacunes demeurent et ces deux disques ne parviennent pas à balayer l'intégralité du répertoire d'Higelin. Où est donc la touchante Croisade des enfants (très rare exemple d'une chanson française pour enfants audible par leurs parents sans aucun risque de crise de nerf)? Pourquoi avoir passé sous silence le subtil et voluptueux Cigarette? Peut-être qu'un troisième disque à la place du DVD aurait été plus judicieux...

 

Cette critique est initialement parue il y a trois semaines dans Points de vue, un webzine culturel auquel je collabore et sur lequel vous retrouverez toutes mes humeurs musicales en exclusivité.

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