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labosonic, journal intime sonore
6 avril 2005

Black Mahogany - Moodymann

Faire de la musique à Détroit, c'est un enfer et un paradis, tout comme vivre dans cette ville des États-Unis. C'est évoluer dans une suite de quartiers ravagés par la drogue, la misère, le chômage. La musique a suivi l'histoire de la ville : Iggy Pop, Eminem, Tamla Motown et la techno. Tous sont nés là-bas et n'auraient pu naître ailleurs. La musique est en ce lieu un héritage lourd de spectres toujours vivants, et peut-être l'unique porte de sortie, surtout quand on est noir.

Moodyman.jpg

Kenny Dixon Junior est producteur de musique électronique à Détroit. Il est plus connu sous le nom de Moodymann et constitue une référence en matière de housemusic. Et de la housemusic de qualité, s'il vous plaît, le genre de morceaux qui vous donne envie de bouger les fesses, mais sur des rythmiques élaborées, tout sauf binaires. Dans ses productions, il n'y a pas de recettes faciles, ni de gimmicks pour faire des tubes de l'été, ni de sons filtrés. Chaque album est un parti pris clairement motivé par une volonté de soigner la qualité du son et d'obtenir une certaine forme de perfection.

 

Black Mahogany est la cinquième réalisation personnelle de l'artiste. Il est déjà confirmé et adulé par les connaisseurs, et n'a donc plus rien à prouver. Il va pourtant se lancer un défi : faire un album-concept, qui raconte une histoire pendant soixante minutes, en dix morceaux qui s'enchaînent d'une traite. Une heure de house-music intelligente, destinée à la fois aux pistes de danse et à l'écoute sur canapé : ce n'est pas un challenge, c'est un exploit que seul Moodyman était capable de réaliser.

 

Dès l'ouverture de l'album, Holiday donne le ton. Huit secondes d'une grande guitare jazzy s'effacent progressivement pour une batterie subtile, des nappes de synthés légères, la voix rauque et sensuelle de Roberta Sweed, des feulements funky. En trois minutes et demie, on frôle la perfection, on se plaît à rêver de tout un album de ce niveau. Et ce n'est pas le cas, c'est encore mieux : les morceaux s'enchaînent dans la continuité, chacun effaçant le précédent, le faisant paraître fade.

Black Mahogany.jpg

Premier point culminant de l'album, les magnifiques douze minutes de Runaway déroutent. On s'attendait à un album qui raconte une histoire et on trouve finalement un morceau qui, à lui seul, en raconte dix mille. Runaway est tout à la fois dansant, cordial comme une fête entre amis, nostalgique comme un amour perdu, lascif tel un torride tête à tête dans des draps de satin, calme et reposant comme un fleuve qui suit son cours. C'est un paroxysme groovy, construit à la manière d'une symphonie. Rien que ça.

 

Pas une seule seconde de répit accordée après ce sublime intermède, il y a encore six joyaux à découvrir, plus courts mais pas moins soignés. Chacun nous offre une harmonie parfaite avec des rythmiques légères, des voix sensuelles, des basses rondes. L'ensemble est plein de surprises (le break de I'm doing fine), de clins d'œil (le sample d'ouverture de Back at Bakers)...

 

Moodymann, pour cet album, convoque toutes les musiques : la rythmique de la house, la douceur vocale de la soul, la sensualité de la funk, la délicatesse du jazz (les claviers Rhodes, le saxophone de Norma Jean Bell). Il pousse la perfection jazzy jusque dans les attitudes, ponctuant ses morceaux des vivas d'approbation d'un public de connaisseurs, comme au fond d'un caveau enfumé.

 

Il nous tend même une perche énorme avec Riley's Song, expliquant en une allusion sa volonté de faire un What's going on des années 2000. La comparaison avec Marvin Gaye est inévitable. Mais, dans cet album, il y a aussi un peu de la magie de Stevie Wonder, du génie de Prince, du groove d'Isaac Hayes, du sexappeal de Diana Ross, en un mot plus simplement, du talent de Moodymann.

 

Cette critique est initialement parue il y a trois semaines dans Points de vue, un webzine culturel auquel je collabore et sur lequel vous retrouverez toutes mes humeurs musicales en exclusivité.

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